La crise ivoirienne qui a cours depuis le mois d’août 2020 suite à la décision du Président Alassane Ouattara de se porter candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre dernier, tire-t-elle à sa fin.
Affi N’guessan et Guikahué libérés: Vers des élections législatives inclusives pour mettre fin à la crise ivoirienne?
Dès l’annonce du chef de l’Etat Alassane Ouattara de se porter candidat à la présidentielle du 31 octobre 2020, ont démarré des heurts en Côte d’Ivoire. L’opposition politique ivoirienne et une partie des militants de la société civile ont lancé simultanément des mouvements de protestation contre cette candidature jugée non conforme à la constitution qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels.
Présidente du mouvement Alternative citoyenne ivoirienne (ACI), Pulchérie Gbalet qui a appelé à manifester contre un troisième mandat du président Alassane Ouattara, est arrêtée dans la nuit du 15 au 16 août et « inculpée d’incitation à la révolte, appel à une insurrection, troubles à l’ordre public, violences et voies de faits’’. Dans la foulée, plusieurs arrêtés ministériels qui se succèdent jusqu’à ce jour, sont pris pour interdire toutes marches ou manifestations sur la voie publique.
Il n’empêche. L’opposition qui était décidée à en découdre avec le pouvoir sortant, lance un mot d’ordre de désobéissance civile visant à empêcher ‘’par tous les moyens légaux’’, le déroulement du processus électoral. Cette situation va entrainer, en certains endroits du pays, de violents affrontements entre partisans et opposants à la candidature du chef de l’Etat.
A Dabou, à 30 km à l’ouest d’Abidjan, 16 personnes sont mortes dans les affrontements inter-communautaires, 67 blessés ont été enregistrés; 03 maisons d’habitation et 01 ferme avicole incendiées ; 10 véhicules de transport en commun incendiés ; plusieurs biens emportés; 52 individus interpellés ; 12 fusils calibre 12 et 70 machettes saisis.
A Daoukro, une marche de protestation contre la candidature du président Alassane Ouattara a conduit à la décapitation du jeune Nguessan Koffi Toussaint, 36 ans, par des jeunes surexcités. A Toumodi, au lendemain de l’élection présidentielle du 31 octobre, quatre personnes d’une même famille sont mortes dans l’incendie de leur maison lors de troubles.
A cela, il faut ajouter l’agression sur l’axe Bouaflé-Yamoussoukro, suivie de l’assassinat de l’adjudant Sanogo, un gendarme affecté à la sécurité du ministre du Budget et du portefeuille de l’Etat, Moussa Sanogo. Toutes ces violences imputées au mot d’ordre de désobéissance civile, suivi du boycott du scrutin présidentiel par l’opposition, ont causé la mort à environ 85 personnes dont 34 avant l’élection, 20 le jour du scrutin et 31 après l’élection.
Selon le gouvernement, il y a eu également 484 blessés, 225 personnes interpellées, 167 inculpées et 45 écrouées. Depuis lors, pouvoir et opposition se rejettent la responsabilité de cette nouvelle crise ivoirienne survenue depuis août 2020. Si les opposants dénoncent le refus du dialogue par le régime Ouattara, le gouvernement, lui, accuse une opposition »irresponsable » qui a délibérément choisi de boycotter les élections sous le fallacieux prétexte de la candidature ‘’illégale’’ du président Ouattara.
« On peut tous prétendre être de grands sachants mais il y a un juge constitutionnel. Sur 44 candidatures, le Conseil constitutionnel a retenu quatre. Il y en a deux qui disent: ‘’Si Ouattara est candidat, nous, on n’y va pas’’. Mais vous n’êtes pas juges constitutionnels », a dénoncé récemment Joël N’Guessan, cadre du RHDP (parti au pouvoir).
Arrêtés pour sédition après la mise en place du Comité national de transition (CNT); un organe censé remplacer les institutions en place, Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif du PDCI actuellement en France pour des soins de santé, et Pascal Affi N’guessan, président du FPI dont la candidature avait été retenue mais qui a refusé de compétir, sont désormais libres de tous leurs mouvements après quelques semaines passés en détention.
Ces libérations, si elles sont considérées comme étant le fruit du dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition, déroulé du 21 au 29 décembre 2020, laissent un arrière goût amer. Et ce, d’autant plus que deux des points essentiels du rapport final de ces discussions, recommandaient « la repentance des auteurs et des acteurs politiques pour les actes de violence perpétrés ; la prise de mesures en faveur des personnes poursuivies pour des faits liés au mot d’ordre de désobéissance civile de 2020 et à la crise post-électorale de 2010, au terme des procédures judiciaires en cours ».
Alors que cela n’est pas fait, les principaux acteurs politiques arrêtés sont progressivement tous remis en liberté au terme d’un dialogue qui aurait pu se dérouler bien avant le déroulement de l’élection présidentielle du 31 octobre; ce qui aurait permis de faire l’économie de toutes ces vies humaines arrachées et des importants dégâts matériels constatés çà et là.
Crise ivoirienne: Encore une fois, on ne saura jamais qui sont les responsables des violences électorales de 2020
«On ne doit pas donner l’impression qu’il y a l’apocalypse. On doit tirer des leçons du passé. Tant qu’on peut éviter des diatribes enflammées; tant qu’on peut arriver à des solutions qui ne sont pas avenantes, on doit promouvoir une politique de fraternité. On doit se parler dans le respect des uns et des autres. Il faut savoir lâcher du lest, se parler dans le respect de l’autre, le respect mutuel et des lois de la République. Dans la différence, on peut se réaliser en sauvegardant la paix et l’intégrité du pays (…) Que la sagesse abrite chacun. Dès lors que, tôt ou tard, vous allez finir par discuter, il faut discuter. Il faut éviter les mots qui blessent », avait interpellé le journaliste-consultant Bamba Alex Souleymane le 20 octobre, soit 10 jours avant le scrutin présidentiel. Mais en vain.
Il aura fallu des morts, des blessés et plusieurs dégâts matériels pour qu’enfin, les acteurs politiques ivoiriens reconnaissant la primauté du dialogue sur la force brutale et la violence. Entre temps, ces 85 personnes tuées lors de la crise ivoirienne et les 484 autres blessées, l’auront été pour rien; toutes ces familles endeuillées peuvent attendre une réparation à la saint-glinglin.
Tant que le dialogue post-élection 2020 aura permis d’aboutir à un accord pour une participation de toutes les parties prenantes (pouvoir comme opposition) aux prochaines élections législatives du 06 mars 2021, on peut pousser un ouf de soulagement. Mais ainsi va la Côte d’Ivoire de l’impunité depuis maintenant deux décennies.
Comme lors de la rébellion de 2002 qui a fait plusieurs morts sur son passage jusqu’à la crise post-électorale de 2010-2011, encore une fois, on ne saura jamais qui sont les responsables des violences électorales de 2020. Hélàs! 85 morts et 484 blessés passés par pertes et profits.